Ma mission de Service Civique 2021-2022

Dans cet article, je réponds à 10 questions sur ma mission de Service Civique à Montréal, au Canada. Je me suis inspirée de celles posées par l’Agence du Service Civique à des volontaires sur leur site internet. J’ai également inclus certaines de vos questions en provenance d’Instagram. Merci pour votre intérêt ! A noter que les opinions émises ci-dessous n’engagent que moi. C’était la première fois que je mettais les pieds dans le monde du travail social en tant qu’intervenante, donc les termes techniques et les mots choisis ne sont peut-être pas les meilleurs. Néanmoins, je tenais en toute transparence à vous présenter mes ressentis.

mission service civique montréal la rue des femmes témoignage

Ma Mission

L’intitulé de la mission était : Accompagner vers l’autonomie et lutter contre les discriminations à La Rue des Femmes. J’étais une travailleuse des services sociaux et communautaires à Montréal, au Canada. La mission durait 30h par semaine à raison de 4 jours travaillés. La durée initiale était prévue de 1 an, et la mission a débuté à partir d’octobre 2021.  

Que faisiez-vous avant de vous engager en Service Civique ? Et pourquoi avoir choisi de faire ce Service Civique ?

Après deux mois de recherche au Cambodge sur la thématique des enfants marginalisés (2019), et huit mois dans une association parisienne pour orienter les personnes en situation de précarité (2020), je souhaitais poursuivre mon engagement dans le monde de la solidarité à l’étranger

Je voulais me confronter à de nouvelles expériences : côtoyer de nouvelles personnes, être dans un nouvel environnement et découvrir un système de prise en charge différent de ceux que je connaissais. J’étais aussi et surtout déterminée à me mettre au service de causes qui me tiennent à cœur, notamment celle des femmes

Enfant Cambodge ONG Pour un sourire d'enfant

Présentez votre structure. Quelles ont été vos activités ?

S T R U C T U R E

J’étais intervenante à La Rue des Femmes, un centre exclusivement féminin qui accompagne les femmes en état d’itinérance et en grande difficulté. Selon leur propre définition, l’état d’itinérance inclut l’état de stress post-traumatique dans lequel une personne peut être plongée à la suite d’un choc traumatique (accident) ou d’un traumatisme de développement (abus, maltraitance, etc.). 

L’objectif est alors de prodiguer aux participantes des services d’urgence et de les encourager à reprendre contact avec elles-mêmes et avec les autres. On parle de santé relationnelle, une approche phare de l’organisme, à laquelle les stagiaires et services civiques sont formées pendant deux jours avant de débuter leur mission. 

T Â C H E S

Avec l’équipe de jour, nous accueillions les femmes dans le centre et les soutenions dans leur parcours de guérison et de reconstruction. Cela pouvait passer par le biais de tâches et d’activités de la vie quotidienne comme le service du petit-déjeuner et du déjeuner, la préparation de leur lit mais aussi par des temps d’écoute, de soutien et d’orientation vers des structures partenaires. 

En créant un climat de confiance, nous permettions à ces femmes de se sentir en sécurité au sein de la maison pour leur donner les soins appropriés. Et, sur du plus ou moins long terme, si elles revenaient, pour créer un accompagnement bienveillant dans leur quête d’autonomie. 

A C T I V I T É S

Inspirée par l’art-thérapie, j’ai également organisé des sessions dessin pour les participantes intéressées. Ces sessions étaient informelles et se déroulaient de manière simple : je m’installais à une table dans le centre de jour, je dessinais et celles qui le souhaitaient pouvaient me rejoindre. Dessiner peut être un excellent moyen de créer un contact avec quelqu’un. Lorsque nous créons, nous sommes concentrés sur notre tâche et sur les mouvements de notre main, ce qui peut nous aider à oublier nos inhibitions et à nous ouvrir à l’autre. De plus, en partageant cette activité créative, nous pouvons nous sentir plus à l’aise et plus en confiance : une situation qui permet l’établissement d’un premier échange. Aussi, le fait de dessiner peut être très relaxant et contribue à créer une atmosphère de bien-être et de détente, sans pression. 

Ci-dessous, un autre exemple d’activité pour la Journée internationale des droits des femmes (atelier et photo réalisés par ma collègue Laura) : 

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Quels ont été vos ressentis durant votre mission de Service Civique ? Quels sont les défis auxquels vous avez été confronté et comment les avez-vous surmontés ?

Pendant 10 mois, j’ai ressenti un feu d’artifice émotionnel. Avant d’être intervenante, je n’aurais jamais envisagé ce que cela représentait. Quotidiennement, tu fais face à des émotions extrêmement intenses et diverses : de la bienveillance pure à la colère, de la peur au stress post-traumatique, de la tristesse à t’en déchirer le cœur à la joie du moment. Et ça, parfois en un laps de temps très court. Il faut pouvoir s’adapter rapidement et être en mesure de les recevoir sans les laisser vous impacter, ce qui peut s’avérer être compliqué. 

C’est toujours l’éternel dilemme de la proximité affective et de la distance émotionnelle (Aymon M. 2020). Comment gérer toutes les émotions, les siennes et celles des autres, en tant qu’intervenante ? Comment maintenir la balance entre la “bonne distance” professionnelle et la posture de proximité de l’aidant ? Jusqu’où le dévoilement du soi peut-il aller ?

Il est arrivé une fois où une personne est rentrée dans une colère noire, à m’insulter et à me piquer là où ça faisait mal. Sauf que malheureusement, dans le feu de l’action, j’ai pris sa colère comme mienne et je suis devenue furieuse à mon tour. L’émotion a pris le dessus sur ma pensée. J’ai beaucoup appris de ce moment. Grâce à un retour à la fin du shift avec mon équipe et ma superviseuse, on a pu analyser la situation et mettre les mots sur ce qui s’était passé. Cela permet de prendre du recul et de faire une introspection sur son comportement : identifier son émotion, la comprendre et la réguler (non pas l’annihiler !). C’est nécessaire pour ce genre de métier : il faut être en phase avec soi-même pour pouvoir aider les autres.

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Vous avez dit dix mois de mission. Ne devait-elle pas durer plus ?

En effet, j’ai écourté ma mission. Elle devait durer un an, et c’est pour cela que dans mon article “Tout savoir sur le Service Civique à l’étranger” j’ai spécifié qu’il était possible de réduire le temps de votre mission, si besoin est.

Certains milieux sont davantage demandeurs émotionnellement et tout le monde n’y fait pas face de la même manière. J’ai été fragilisée et j’avais du mal à prendre de la distance avec cet environnement. J’ai tenu tout de même à finir un projet que j’avais entamé et ma structure a pris le temps de clôturer ma mission et de souligner mon investissement le temps passé à leurs côtés. 

Ainsi, ce choix venait d’un commun accord après une adaptation de mission pendant un mois. Cette décision n’a pas été prise sur un coup de tête ! Ma tutrice était au courant de la situation puisqu’on avait essayé de mettre en place des solutions. Comme dit plus haut, je travaillais sur un projet à raison de deux jours par semaine, en parallèle du “plancher” (terrain). Je recensais les structures d’aide dans les alentours pour orienter plus facilement les femmes présentes dans le centre. 

J’ai eu du mal à accepter de ne pas être allée au bout des choses. Ça m’a laissé un arrière goût amer pendant un bon mois. Mais après coup, je pense que c’était le bon choix. J’ai essayé et j’ai fait de mon mieux : et je peux être fière pour ça. 

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Quels sont les moments les plus gratifiants que vous avez vécus pendant votre mission de Service Civique ?

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J’ai découvert la vie de la rue, la réalité – celle qui est cachée ou volontairement tue. J’ai vu des centaines de femmes, aux visages marqués par une vie qui ne les a pas épargnées mais qui ont pourtant le cœur sur la main et qui continuent d’avoir foi en l’être humain. Je me souviendrai des câlins sincères, des sourires sans dents, des fous-rires suite à des incompréhensions françaises/québécoises et de toutes leurs histoires. 

Le plus fou c’est que j’étais là pour elles mais je ne m’attendais pas à recevoir autant, à être aussi bien accueillie. On formait un grand tout, une “grande famille” : on parle de maison, on mange toutes ensembles, on s’écoute et on se questionne, et on apprend des unes et des autres – tout en maintenant le positionnement professionnel. C’était un mélange équilibré et sain entre l’atmosphère familiale et l’encadrement institutionnel.

L’équipe a joué également un rôle important dans ces moments-là. Je n’avais jamais eu des collègues (et responsables !) aussi compréhensives, à l’écoute et autant tournées vers l’être humain. Tout le monde se voyait pour qui on était vraiment, sans toute la superficialité qui peut exister. Et je trouvais juste ça incroyable. 

Qu'avez-vous appris ou découvert grâce à votre mission de Service Civique ?

En terme d’apprentissage, j’ai appris à aller au-delà des apparences et à mettre de côté mes a priori. Je pense que c’est humain d’avoir un moment de questionnement face à l’autre, pourtant l’apparence n’est qu’un masque et une fois ôté, il peut révéler des aspects surprenants. Dans la même idée, ma timidité a été mise à l’épreuve. En étant tous les jours stimulée par de nouvelles rencontres, je devais aller vers l’autre et abattre mes barrières. 

J’ai aussi appris à observer les émotions d’autrui (expressions faciales, postures, gestes, timbres de voix), à les déchiffrer et à agir en conséquence. Mais j’ai également pris conscience des miennes, je les ai nommées à moi-même et aux autres et les ai acceptées. En effet, pour construire des relations intervenante-participante ou collègue-collègue, exprimer ses émotions s’avère nécessaire et même bénéfique. Cela donne des clés sur la personne, la situation et favorise la création de liens de confiance.

J’ai également adopté de nouveaux comportements en étant influencée positivement par mes collègues. Une leçon intéressante a été d’apprendre à poser des limites (tâche assez difficile pour ma part!). Dans le travail de l’intervention, c’est une chose cruciale : il faut savoir se respecter et intégrer du respect mutuel en communiquant nos limites. Déjà d’un, si le cadre n’est pas posé, il sera plus difficile de s’affirmer. Alors certes, ne pas poser des limites peut être bénéfique pour éviter le conflit ou paraître plus souple/cool. Néanmoins, si nos limites personnelles sont outrepassées plusieurs fois, il est possible que nous craquions (tristesse, colère), ce qui n’est pas le but. C’était un challenge important, et qui je pense, va m’être bénéfique même dans ma vie personnelle.

J’ai dû aussi accepter l’imprévisibilité et ne plus m’angoisser à cause d’elle. 

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Qu'est-ce qui vous manque le plus depuis la fin de votre mission de Service Civique ?

Je pense que c’est paradoxal car j’ai écourté ma mission en partie à cause de ça, mais le contact humain. Je suis passée du tout au tout : de sollicitée 7h par jour et ce 4 jours par semaine à seule devant mon ordinateur. J’aime le social, et je pense qu’il faut que je trouve ma balance pour me sentir bien. 

Les moments de complicité avec les participantes me manquent également : tout ce que l’on vit est très fort. Certaines de mes collègues sont aussi devenues de bonnes amies, j’espère que je pourrais retourner à Montréal les revoir. 

Et je pense et surtout, l’état d’esprit de la structure. C’est indescriptible mais cette bienveillance, cette écoute, ce regard neuf sur l’état d’itinérance, cette disposition à être ouvert à tout, tout en respectant les autres, cette compréhension unique de l’être humain. C’était hyper rafraîchissant et je pense que ça a changé ma vision des choses à tout jamais.

Comment votre mission de Service Civique a-t-elle influencé vos projets d'avenir ?

Elle a tout bouleversé. Je suis arrivée avec l’objectif de découvrir un nouveau système de prise en charge et de m’ancrer dans le monde de la solidarité. Je suis repartie avec plein d’idées en tête et me suis lancée dans un projet complètement fou en partant de 0 : la création de mon site web.

Grâce à mon Service Civique, j’ai pu avoir des discussions décisives avec des personnes qui m’ont permis de prendre conscience de ce que je voulais vraiment et de ce que j’aimais faire. Merci à elles pour tout ça.

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Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite effectuer une mission de Service Civique ?

J’ai qu’un conseil à vous donner : foncez. C’est l’expérience d’une vie. On en sort changé, grandi. Néanmoins, si vous en souhaitez plus, vous pouvez retrouver mes 6 raisons de faire un service civique à l’étranger

Un dernier mot ?

Je voudrais aussi rendre hommage à toutes les femmes qui ont croisé mon chemin à La Rue des Femmes

Mesdames, je vous admire.

Je sais que la vie n’a pas été chouette avec vous, oh non, loin de là. Des visages tuméfiés, des lèvres coupées, un crâne ouvert, un œil enfoncé, des regards vides, des poignets scarifiés. J’en ai vu des corps meurtris et je ne peux imaginer la souffrance enfouie en vous. 

Mais je peux par contre vous dire que vous êtes des battantes. Vous êtes fortes. Vous êtes courageuses. Car pas après pas vous avancez, car vous êtes présentes les unes pour les autres, car vous nous faites confiance, car vous y croyez. Car vous êtes en vie.

Mon autrice préférée, Agnès Ledig, a écrit un jour : « Le temps passe et panse. La vie grouille et débrouille. Les braises incandescentes se consument doucement sous le tas épais de cendres froides et grises. Et puis, un jour, il y a un petit souffle, quelques brindilles, et le feu repart. » Je souhaite qu’un jour, votre feu puisse repartir.

Prenez soin de vous.

Vous voulez partager votre expérience de Service civique ? 

Envoyez-moi un mail à contact@goldenturtles.fr avec pour objet « témoignage de mission » et répondez aux mêmes questions posées ci-dessus. Nous discuterons alors pour publier votre portrait !

Vous vous renseignez sur le Service civique ? Découvrez tout ce que vous devrez savoir sur le SC à l’étranger, et plus particulièrement sur les missions avec l’OFQJ. N’hésitez pas à consulter d’autres témoignages de mission à Montréal !

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